Épanorthose et palinodie, se rétracter pour se corriger (au mieux), au pire un désaveu
« C'est
votre
inconscience,
ou
plutôt
l'insouciance
de
votre jeunesse,
que
dis‑je !
c'est
votre
courage,
qui
nous
a
sauvés
d'une
mort
certaine. »
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ÉPANORTHOSE
ET PALINODIE
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LA
PALINODIE OU LA RÉTRACTION
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Dans
l'Antiquité grecque,
c'est
un poème
dans lequel l'auteur rétractait ce qu'il avait dit dans un poème
antérieur. Stésichore1
(vers
640 avant J.‑C.-vers 550 avant J.‑C.),
ayant écrit
des vers mordants
et
satiriques
contre Hélène, princesse
légendaire de Sparte,
fut frappé de cécité ; puis, s'étant rétracté dans un
poème appelé palinodie
(en
grec « chant différent sur un autre ton » )
en
composant une
nouvelle pièce contraire à la première,
il recouvra la vue ;
c'est
ce que raconte Platon dans un
dialogue entre Socrate et Phèdre, extrait
de : Phèdre
(vers
370 avant
J.‑C.)
ou
De la beauté
(Œuvres
de Platon,
traduction
nouvelle par E. Chambry, Paris,
Garnier frères, 1919,
Gallica-BnF, dialogue XX,
p 240).
Socrate :
(…)
Or
il y a pour les erreurs envers la mythologie une antique expiation,
qu'Homère n'a point connue, mais que Stésichore a su pratiquer.
Privé de la vue pour avoir diffamé Hélène, il ne méconnut pas la
cause de son malheur, comme Homère, mais, instruit par les Muses, il
la reconnut et lit aussitôt ces vers : « Non,
ce récit n'est pas vrai : tu n'es pas montée sur les navires
aux beaux tillacs3
et tu n'es pas allée à Pergame. »
Quand il eut achevé cette palinodie,
comme on l'appelle, il recouvra la vue sur-le-champ. Pour
moi, je prétends montrer plus de sagesse que ces poètes, au moins
en un point ; car avant qu'Éros me punisse de l'avoir diffamé,
je vais lui offrir ma palinodie
(…).
Emprunté
au grec palinộdia
puis
au bas
latin
palinodia
« refrain », le
mot, d'abord nom d'un poème dans lequel l'auteur revient sur ce
qu'il a dit dans un poème antérieur, est entré dans la locution
« chanter la palinodie » (1555) par calque du bas latin
palinodiam
canere.
D'après
Antoine
Furetière, dans
son
Dictionnaire
universel contenant généralement tous les mots françois
tant vieux que modernes (1690),
c'est
là le seul emploi du mot.
Le
mot
a ensuite
été
repris dans l'usage littéraire avec
la tirade
vengeresse que
Voltaire, furieux,
consacre en
1760 à
Jean-Baptiste Louis Gresset2
dans Le
Pauvre Diable,
après que celui-ci a abjuré en 1759, dans une Lettre
sur la comédie,
le culte de Thalie, traité la poésie d'art dangereux, et déclaré
renoncer au théâtre pour terminer sa vie dans la retraite.
Le
mot a
été
repris avec
le sens de « désaveu
de ce que l'on a dit » , particulièrement en parlant d'un
changement d'opinion politique (« retourner sa veste »),
surtout au pluriel (1840, Balzac), en
parlant de multiples changements d'attitude.
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L'ÉPANORTHOSE
OU LA FEINTE DE LA RÉTRACTION
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En
rhétorique, une épanorthose est une figure par laquelle on
feint de rétracter ce qu'on vient de dire, comme trop faible pour ce
qu'on veut exprimer.
« Il
l'a frappé,
que dis-je !, il l'a roué
de coups. »
C'est
une figure dite de correction, utilisée pour exprimer quelque chose
de plus fort que ce qu'on avait dit.
« Votre
prudence,
ou plutôt votre lâcheté
nous ont perdu. »
« J'espère,
que dis-je ? Je suis sûre
qu'on vous rendra justice. »
Le
terme est un emprunt (1690, Dictionnaire universel contenant
généralement tous les mots françois tant vieux que modernes,
d'Antoine Furetière) par l'intermédiaire du bas latin au grec
epanorthôsis « redressement », du verbe
epanorthoûn « corriger, redresser », et dont la
racine orthos est rapprochée du sanscrit ūrdhvá
« dressé haut » et du verbe várdhati
« élever, faire pousser ».
Le
procédé est utilisé à de nombreuses reprises par Cicéron (en
63 av. J.-C.) dans ses Catilinaires (traduites du
latin au français par J. Thibault, Paris, L. Hachette,
1849, Gallica-BnF, p. 5, 21, 49).
« Jamais
tu n'as aimé le repos ;
que dis-je ! la guerre
même ne t'a plu qu'autant qu'elle était criminelle.
Tu as trouvé une armée composée d'hommes perdus et dénués non
seulement de toute fortune, mais de toute espérance. »
« Qui
ne le regarda pas de l'œil dont on voit un
mauvais citoyen, ou plutôt
l'ennemi le plus
redoutable ? »
« Le
sénat connaît tous ces complots, le consul les voit ; et
Catilina vit encore. Il vit ?
que dis-je ? il vient au
sénat, il
prend part aux conseils de la
république… »
Le
Dictionnaire
de l'Académie française
(9e éd.
en
cours,
version
informatisée)
va plus loin : « l'épanorthose est une figure
de style, un
procédé
oratoire consistant à se
reprendre
pour préciser,
renforcer
ou atténuer
son propos » ; comme
la définition du Dictionnaire
de poétique et de rhétorique
d'Henri
Morier
(Paris, Presses Universitaires de France, édition revue, 1975) :
« l'épanorthose
est une figure
de pensée qui consiste à revenir
sur ce que l'on vient d'affirmer, soit pour le nuancer,
l'affaiblir
et même le rétracter,
soit au contraire pour le réexposer
avec plus d'énergie ».
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NOTES
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1.
Stésichore
(vers
640 avant J.‑C.-vers 550 avant J.‑C.)
est
un poète grec
originaire
d'Himère en Sicile, dont
il
nous reste seulement quelques fragments d'une œuvre composée
d'Hymnes
héroïques, de péans (ou
pæans :
chants en l'honneur d'Apollon),
et de chants d'amour.
Il
est l'un
des créateurs du lyrisme choral par l'introduction
dans le chant choral, sous forme de récits, des
légendes et des
mythes de l'épopée, en privilégiant ceux qui concernent la
Grande-Grèce, où de nombreuses cités prétendent devoir leur
fondation à des héros homériques : ainsi, deux de ses
recueils s'intitulent La
Prise de Troie
et Retours.
D'ailleurs, les termes homériques abondent dans la langue de
Stésichore, qui emploie le dorien littéraire des poésies lyriques
destinées à toute la Grèce.
Il
inventa aussi
la triade (strophe,
antistrophe ou
le retour,
épode ou
le temps d'arrêt),
qui renouvelle la composition de l'ode : au lieu que l'unité
soit la strophe, monotone, elle devient le groupe
strophe-antistrophe-épode (chant du chœur immobile).
2.
Jean-Baptiste Louis Gresset
(1709-1777) est un poète humoristique (Ver-Vert :
histoire
d'un perroquet de Nevers,
publié en 1734, qui plaisante sur les mœurs des couvents) et un
auteur dramatique amiénois
qui connut le succès avec une
comédie morale
Le
Méchant
(1747). Il est reçu à l'Académie française en 1748, avant
de se retirer à Amiens où il finit sans éclat sa carrière.
3.
Un tillac
est le pont supérieur d'un navire, dans le vocabulaire de la marine.
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et
maintenant, place à l'élaboration d'un texte court...
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Modifier
l'extrait de texte ci-après en y introduisant des épanorthoses,
c'est-à-dire en revenant sur certains termes, afin de préciser le
propos, de le nuancer, de le renforcer, de l'affaiblir, ou de le
réexposer. Il s'agit d'un extrait de Claire d'Albe (1799) de
Sophie Cottin, dans : Œuvres complètes de Mme Cottin
(Paris, F. Didot frères, 1836, t. 1, pp. 1‑2).
Lettre
première, Claire d'Albe à Élise de Biré. Non, mon Élise, non, tu
ne doutes pas de la peine que j'ai éprouvée en te quittant ;
tu l'as vue, elle a été telle, que M. d'Albe proposait de me
laisser avec toi, et que j'ai été prête à y consentir. Mais alors
le charme de notre amitié n'eût-il pas été détruit ?
Aurions-nous pu être contentes d'être ensemble, en ne l'étant pas
de nous-mêmes ? Aurais-tu osé parler de vertu, sans craindre
de me faire rougir, et remplir des devoirs qui eussent été un
reproche tacite pour celle qui abandonnait son époux, et séparait
un père de ses enfants ?
Élise,
j'ai dû te quitter, et je ne puis m'en repentir ; si c'est un
sacrifice, la reconnaissance de M. d'Albe m'en a dédommagée,
et les sept années que j'ai passées dans le monde, depuis mon
mariage, ne m'avaient pas obtenu autant de confiance de sa part, que
la certitude que je ne te préfère pas à lui. Tu le sais, cousine,
depuis mon union avec M. d'Albe, il n'a été jaloux que de mon
amitié pour toi ; il était donc essentiel de le rassurer sur
ce point, et c'est à quoi j'ai parfaitement réussi.
Madame
Cottin (Marie Sophie Risteau, 1770-1807) est une romancière
française, et qui, veuve à 23 ans, vécut de sa plume et connut un
certain succès avec son premier roman Claire d'Albe. Elle
composa ensuite Malvina (1801), Amélie Mansfield
(1803) et Mathilde (1805), une évocation romanesque du temps
des croisades. Son dernier ouvrage Élisabeth ou les Exilés de
Sibérie (1806), manifeste une sensibilité préromantique
intéressante.
Avec le
début de l'extrait, cela pourrait donner ceci :
Non, mon
Élise, non, tu ne t'attends pas, que dis-je ? tu ne
doutes pas de la peine que j'ai éprouvée en te quittant ;
tu l'as vue, elle a été telle, que M. d'Albe proposait de me
laisser avec toi, et que j'ai été prête à y consentir, que
dis-je ! à m'y abandonner. Mais alors la satisfaction…,
ou plutôt le charme de notre amitié n'eût-il pas été
détruit ? Aurions-nous pu être contentes d'être ensemble, en
ne l'étant pas de nous-mêmes ? Aurais-tu osé parler de
bienséance, ou plutôt de vertu, sans craindre de me
faire rougir, et remplir des devoirs qui eussent été un reproche
tacite pour celle qui abandonnait son époux, et séparait un père
de ses enfants ? Etc.
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BIBLIOGRAPHIE
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►
DUBOIS
(Jean),
GIACOMO (Mathée),
[et al.],
Dictionnaire
de linguistique et des sciences du langage,
Paris, Larousse, 1999
(collection Expression), p. 183.
►
Encyclopædia
Universalis,
2008-2009,
édition numérique, 1 CD‑ROM,
article
de
Dominique RICHARD, intitulé :
Stésichore.
►
Le
Grand Robert de la langue française,
2ème édition,
Paris :
Dictionnaires Le Robert, 2001,
6 vol., t. 3,
p. 66,
t. 5,
p. 132.
►
LITTRÉ
(Paul-Émile),
Dictionnaire
de la langue française,
nouvelle
édition, Chicago,
Encyclopædia
Britannica Inc., 1991
(réimpression
de l'édition de 1880),
6 vol. + 1 supplément, t. 2,
p. 2162,
t. 5,
p. 4412.
►
Le
Petit Robert des noms propres,
nouvelle
édition refondue et augmentée, 2007,
p. 543,
1712, 2058.
►
REY
(Alain,
dir.), Dictionnaire
historique de la langue française,
nouvelle
édition, Paris,
Dictionnaires
Le Robert, 1993,
2 vol., t. 2,
p. 1386,
1408.
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