Le pastiche... une imitation ou un emprunt ? ; de la citation au plagiat en passant par la parodie, le pastiche navigue entre singerie, larcin ou farce


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IMITATION ET PASTICHE
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« Le noir chagrin s'installe derrière le cavalier » dit le fameux poète latin Horace ; dix-sept siècles plus tard Boileau écrit « le chagrin monte en croupe et galope avec lui »
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LA CITATION
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« La citation consiste à insérer un texte dans un autre texte, en indiquant explicitement les limites et l'origine du texte enchâssé, et en mentionnant explicitement le nom de l'auteur de ce texte » lit-on dans l'article intitulé Pastiche de Michel Arrivé (Dictionnaire des littératures de langue française).
À l'opposé de la citation, les différentes pratiques textuelles que sont le pastiche, le plagiat ou la parodie ont longtemps été confondues dans une unanime réprobation.
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LE PLAGIAT ET LA PARODIE
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Le plagiat consiste à reproduire littéralement un autre texte sans en indiquer l'origine ni les limites, et en omettant d'indiquer le nom de l'auteur du texte emprunté. Pour Antoine Albalat (La formation du style par l'assimilation des auteurs), le plagiat c'est « le vol déloyal et condamnable [d'une œuvre littéraire] ».
Pastiche et parodie ont en commun de ne pas recourir à une reproduction littérale du texte. Le pastiche consiste à produire un texte susceptible d’être lu comme s'il avait été écrit par un autre auteur (voir À la manière de…, pastiches de Paul Reboux et Charles Muller, parus en 1908, 1910 et 1913). La parodie repose sur le même principe, mais se distingue du pastiche en ce qu'elle accuse, dans une intention de dérision, certains des traits caractéristiques du texte imité.
Le nom masculin « un pastiche » est un emprunt (1719) à l'italien pasticcio « pâté », utilisé comme terme de peinture et qui signifie au figuré « une affaire embrouillée » (après 1650). Le mot désigne d'abord la contrefaçon d'un tableau, puis en général un ouvrage dans lequel un auteur imite le style d'un autre (1787, Marmontel). D'abord exercice d'école, le pastiche élabore ensuite une esthétique propre au XIXe siècle et au début du XXe siècle (voir les Pastiches et mélanges (1919), de Marcel Proust).
Quant au mot féminin « une parodie », il semble être un emprunt classique (1615) au grec parôdia qui désigne l'imitation bouffonne d'un morceau poétique, formé de para- « à côté » et de ôdê « poésie, chant ». Le mot est d'abord employé dans le contexte des formes poétiques du XVIIe siècle pour désigner l'imitation burlesque d'un œuvre sérieuse. Par extension, il se dit d'une œuvre détournée à des fins plaisantes. Il est employé au figuré pour désigner une contrefaçon, une caricature qui ne reproduit que quelques apparences (1827). Il a aussi autrefois servi à désigner un texte destiné à être chanté sur une musique connue (1751).
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LE PASTICHE, UN GENRE MINEUR… QUI REND HOMMAGE À LA LITTÉRATURE
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Imitation, singerie, larcin, caricature ou farce (selon l'intention du pasticheur), le pastiche reste un genre mineur.
D'après Michel P. Schmitt (Dictionnaire des littératures de langue française) « le pastiche n'emprunte pas que la poétique familière des auteurs imités, mais aussi la syntaxe et le rythme général (voir Proust ou Chateaubriand dans À la façon de…, de Paul Reboux et Charles Muller), des tours et un ton (Jaurès, Jules Renard…), une thématique et un vocabulaire (Hugo, Zola…).
Mais ils sont comme distanciés par le sujet souvent moqueur (Déroulède…), les jeux de mots (Buffon, Mistral…), les clins d’œil (Gide…), qui, en faisant hiatus avec la rhétorique utilisée, créent le burlesque. De la sorte ces canulars savants ont vertu pédagogique : la caricature fait rire, mais en même temps révèle les tics de langage, les images obsédantes et les mythologies (Baudelaire, Verlaine…).
Le lecteur distingue alors les abus d'une rhétorique qui aurait pu passer pour littéraire. Ces pastiches ne ruinent pas la littérature, ils lui rendent hommage. »
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L'IMITATION
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Œuvre littéraire ou artistique dans laquelle l'auteur a imité la manière, le style d'un auteur, le pastiche est un bon moyen pour un écrivain - confirmé ou débutant - soit de s'approprier des caractères empruntés, soit le plus souvent de jouer en exerçant son style, dans une intention parodique ou satirique.
Cependant, imiter n'est ni copier, ni pasticher. L'originalité de l'imitation réside dans la façon nouvelle d'exprimer des choses déjà dites. L'expression modifie alors complètement les idées. Exemple avec ces deux extraits écrits à dix-sept siècles d'intervalle :
C'est au repos d'esprit que nous aspirons tous ;
Mais ce repos heureux se doit chercher en nous.
Un fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne,
Et malade à la ville ainsi qu'à la campagne,
En vain monte à cheval pour tromper son ennui :
Le chagrin monte en croupe, et galope avec lui.
(extrait de : Épîtres de Boileau1 [1669-1695], avec des notes par E. Geruzez, Paris, L. Hachette, 1853, p. 143 : Épître V à M. de Guilleragues (1674) : la connaissance de soi-même)
Mais jusque dans ces murs, que bat le flot marin,
L'alarme entre avec lui ; des noirs chagrins la troupe
Envahit sa trirème2 à l'éperon d'airain,
Et, s'il monte à cheval, se cramponne à la croupe.
(extrait de : Odes d'Horace3, trad. en vers d'Ernest de Champglin, Paris, A. Lemerre, 1885, p. 123 : Livre troisième, Ode I)
Pour Antoine Albalat (La formation du style par l'assimilation des auteurs), « l'important, quand on imite, est de ne pas copier son modèle, mais de le mettre en valeur. Il faut trouver autre chose, ou dire autrement ce qu'on a dit. Si quelqu'un a écrit « Les zigzags de la foudre se précipitent et tombent dans l'eau », dites originalement avec Chateaubriand, en parlant de la foudre « Son losange de feu siffle en s'éteignant dans les eaux ». Si l'on a dit « Les éclairs brillent et frappent les rochers », écrivez (encore avec Chateaubriand) « Les éclairs s'entortillent aux rochers ». L'on a employé le « scintillement des étoiles » ? creusez l'idée et mettez « la palpitation des étoiles ». Alphonse Daudet a bien écrit « Le vent avive les étoiles », tandis que Maupassant (dans Une nuit de Noël) désigne « des étoiles qui pétillent de froid ».
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NOTES
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1. Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux, est un écrivain français (1636-1711) issu de la bourgeoisie parlementaires parisienne. Historiographe du roi en 1677 et entré à l'Académie française en 1684, il est l'auteur de Satires (1660-1667), inspirées de celles d'Horace, de Juvénal et de Mathurin Régnier, d'Épîtres (1669-1695), d'une traduction du Traité du sublime attribué à Longin, d'un Art poétique (1674) inspiré d'Horace (et aussi, selon certains, de Vauquelin de La Fresnaye, poète français (1536-1606) et auteur en 1574 d'un Art poétique français en vers où il se montre disciple de Ronsard).
En 1693, il participa en tant que polémiste à une « dispute littéraire ». Évoquée par Voltaire et déclenchée en 1687 par Charles Perrault, cette polémique littéraire est aussi appelée Querelle des Anciens et des Modernes. Elle opposa en France à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, les tenants de la supériorité des auteurs modernes (Charles Perrault, Bernard de Fontenelle, etc.) aux partisans des auteurs de l'Antiquité (Nicolas Boileau, Jean Racine, Jean de La Fontaine, Jean de La Bruyère).
2. Une trirème est un terme d'antiquité qui désigne un navire de guerre romain et carthaginois, rapide et léger, à trois rangées de rames superposées.
3. Horace, en latin Quintus Horatius Flaccus est un poète latin qui vécu au premier siècle avant Jésus-Christ (-65 - -8). Fils d'un affranchi aisé, il fut instruit par les meilleurs maîtres à Venouse, à Rome, puis à Athènes. Il composa des vers lyriques (Épodes), des Satires, des Épîtres (Art poétique, une des dernières épîtres, forme à elle seule un véritable traité sur la poésie), des Odes. Épicurien, il insista sur la simplicité rustique comme l'une des conditions du bonheur ; poète de l'amour, poète national aussi (le Poème séculaire « Carmen sæculare » fut l'hymne des jeux séculaires), il a su accorder fantaisie et bon sens dans une œuvre qui a fait de lui le modèle de l'équilibre et de la mesure.
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et maintenant, place à l'élaboration d'un texte court...
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En s'inspirant des pastiches de Marcel Proust concernant l'affaire Lemoine : Henri Lemoine ayant faussement prétendu avoir découvert le secret de la fabrication du diamant et ayant reçu plus d'un million de francs de Julius Vernher, président de la De Beers Consolidated Mines Limited, une importante compagnie minière d'Afrique du Sud – Henri Lemoine fut ensuite, sur la plainte de Vernher, condamné le 6 juillet 1909 à six ans de prison (extrait de la note 1, p. 11, de Pastiches et mélanges).
Les extraits qui vont suivre proviennent de la 4e édition de : Pastiches et mélanges, de Marcel Proust, Paris, Éditions de la Nouvelle revue française, 1919 (Gallica, BnF).
En s'inspirant des pastiches de Marcel Proust concernant ce fait divers judiciaire, écrire un texte, d'une dizaine de lignes, qui imite l'expression des auteurs pastichés par Proust.
Pour vous aider avant de vous lancer, vous pouvez relever les caractéristiques de la prose de l'auteur choisi : la construction de la phrase (emploi d'adverbes et d'adjectifs qualificatifs, de phrases simples et/ou de phrases complexes, antéposition ou postposition des verbes, les propositions subordonnées, emploi de la voix passive ou de la voix active…), la ponctuation, la nature du vocabulaire employé et le choix des mots, le ton, la longueur des phrases, l'originalité et la force des images, les techniques de mise en relief et les figures de style utilisées (allitération et assonance, métaphore et comparaison, chiasme et antithèse, ellipse et périphrase, énumération et gradation, hyperbole et litote, oxymore, répétition, etc.), le temps des verbes, etc.
Vous pouvez aussi choisir un autre auteur, si possible un auteur que vous aimez, que vous estimez et que vous appréciez (l'exercice sera plus difficile mais aussi plus productif).
Cela donne ceci, l'Affaire Lemoine par Gustave Flaubert (p. 19) pastichée par Marcel Proust : « La chaleur devenait étouffante, une cloche tinta, des tourterelles s'envolèrent, et, les fenêtres ayant été fermées sur l'ordre du président, une odeur de poussière se répandit. […] Déjà les farceurs commençaient à s'interpeller d'un banc à l'autre, et les femmes, regardant leurs maris, s'étouffaient de rire dans un mouchoir, quand un silence s'établit, le président parut s'absorber pour dormir, l'avocat de Werner prononçait sa plaidoirie. […] En l'écoutant, Nathalie ressentait ce trouble où conduit l'éloquence ; une douceur l'envahit et son cœur s'étant soulevé, la batiste de son corsage palpitait, comme une herbe au bord d'une fontaine prête à sourdre, comme le plumage d'un pigeon qui va s'envoler. »
Ou encore cela, l'Affaire Lemoine par Henri de Régnier (p. 32) pastichée par Marcel Proust : « Le diamant ne me plaît guère. Je ne lui trouve pas de beauté. Le peu qu'il en ajoute à celle des visages est moins un effet de la sienne qu'un reflet de la leur. Il n'a ni la transparence marine de l'émeraude, ni l'azur illimité du saphir. Je lui préfère le rayon saure de la topaze, mais surtout le sortilège crépusculaire des opales.
Elles sont emblématiques et doubles. Si le clair de lune irise une moitié de leur face, l'autre semble teinte par les feux roses et verts du couchant. Nous ne nous divertissons pas tant des couleurs qu'elles nous présentent, que nous ne sommes touchés du songe que nous nous y représentons. À qui ne sait rencontrer au-delà de soi-même que la forme de son destin, elles en montrent le visage alternatif et taciturne.
Elles se trouvaient en grand nombre dans la ville où Hermas me conduisit. La maison que nous habitions valait plus par la beauté du site que par la commodité des êtres. La perspective des horizons y était mieux ménagée, que l'aménagement des lieux n'y était bien entendu. Il était plus agréable d'y songer qu'il n'était aisé d'y dormir. Elle était plus pittoresque que confortable. »
Ou bien, l'Affaire Lemoine dans le « Journal des [frères Edmond et Jules ] Goncourt » (p. 36) : « 21 décembre 1907. Dîné avec Lucien Daudet, qui parle avec un rien de verve blagueuse des diamants fabuleux vus sur les épaules de Mme X…, diamants dits par Lucien dans une forte jolie langue, ma foi, à la notation toujours artiste, à l'épellement savoureux de ses épithètes décelant l'écrivain tout à fait supérieur, être malgré tout une pierre bourgeoise, un peu bébête, qui ne serait pas comparable, par exemple, à l'émeraude ou au rubis. Et au dessert, Lucien nous jette de la porte que Lefebvre de Béhaine lui disait ce soir, à lui Lucien […] qu'un certain Lemoine aurait trouvé le secret de la fabrication du diamant. Ce serait, dans le monde des affaires, au dire de Lucien, tout un émoi rageur devant la dépréciation possible du stock de diamants encore invendu, émoi qui pourrait bien finir par gagner la magistrature, et amener l'internement de ce Lemoine pour le reste de ses jours en quelque in pace, pour crime de lèse-bijouterie. »
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BIBLIOGRAPHIE
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ALBALAT (Antoine), La Formation du style par l'assimilation des auteurs, 2ème édition, Paris, Armand Colin, 1902 (Gallica, BnF), p. 29, 32.
BEAUMARCHAIS (Jean-Pierre de), COUTY (Daniel), REY (Alain), Dictionnaire des littératures de langue française, nouvelle édition mise à jour et enrichie, Paris, Bordas, 1994, 4 vol., t. 3, p. 1835, 2020.
Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 5, p. 330.
LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 793, t. 5, p. 4535.
Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.
REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 1433, 1444.

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