L'amplification ; plus qu'une énumération : une figure qui agrandit ou qui réduit un objet par la profusion ; une figure de rhétorique aujourd'hui disparue après avoir régné pendant trois siècles en littérature ; la déclamation


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atelier d'écriture

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L'AMPLIFICATION,
exagérer ou atténuer
avec profusion
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Démosthène, dans un parallèle de sa propre vie avec celle d'Eschine : « Vous étiez valet d'école moi j'étais écolier ; vous serviez dans les initiations j'étais initié ; vous dansiez dans les jeux j'y présidais... »
Après amplification : « Vous étiez valet d'école, vous nettoyiez la classe, vous enleviez les ordures ; moi j'étais écolier, j'apprenais la science, je cultivais les lettres. Vous serviez dans les initiations, vous prépariez les pupitres, vous dressiez des listes ; j'étais initié, je méritais des distinctions, je conquérais les titres... »
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En tant que figure de rhétorique, l'amplification consiste à développer sa pensée de manière à agrandir les objets ou à les diminuer ; par amplification dite « directe » ou d'exagération (par exemple : « On avait éprouvé une joie infinie à revoir nos amis »), on obtient une hyperbole, par amplification « indirecte ou atténuante » (par exemple : « Je ne puis vous admirer »), on obtient une litote. L'orateur qui accuse, pratique volontiers l'exagération et il utilisera plutôt l'amplification hyperbolique, tandis que l'amplification atténuante sera utilisée par le défenseur. Parmi les auteurs dramatiques, on constate que Pierre Corneille dans Le Cid (1636) ou dans Horace (1640), pratique davantage l'amplification qui exagère, tandis que Jean Racine dans Phèdre (1677), excelle dans l'amplification qui atténue.
Dans le langage ordinaire en France et au XIXe siècle, l'amplification n'est plus une simple figure de rhétorique, mais le développement complet d'une pensée, l'exécution entière d'un tableau, le récit détaillé d'un événement, la description d'un objet d'une scène, sous tous leurs aspects. La pensée utilise alors toutes les figures de style à sa portée pour son développement : la métaphore, la synonymie, l'hyperbole, la périphrase, la répétition, etc. Par l’amas de définitions, par la multiplicité des adjoints ou circonstances, par le détail des causes et des effets, par l'énumération détaillée des parties, des conséquences, par les comparaisons, les parallèles, les similitudes, les exemples, par les contrastes et oppositions, etc., la pensée d'un auteur se déploie et s'exprime.
Exemple avec la description du nez de Cyrano, dans cet extrait de Cyrano de Bergerac : comédie héroïque en 5 actes et en vers (1898), d’Edmond Rostand1 (Paris, Charpentier et Fasquelle, 1898, p. 42) :
« Le vicomte : Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits !... Vous... vous avez un nez... heu... un nez... très grand.
Cyrano : Très.
Le vicomte, riant : Ha !
Cyrano, imperturbable : C’est tout ?...
Le vicomte : Mais...
Cyrano : Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh ! Dieu !... bien des choses en somme... En variant le ton, par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j'avais un tel nez, Il faudrait sur le champ que je me l'amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse : pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C'est un roc !... c'est un pic... c'est un cap ! que dis-je, c'est un cap ?... c'est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ? D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux, que paternellement vous vous préoccupâtes de tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « Ça, monsieur, lorsque vous pétunez, la vapeur du tabac vous sort-elle du nez sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ? »
Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol de peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Pédant : « L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane appelle Hippocampelephan-tocamélos dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'os ! »
Cavalier : « Quoi, l'ami, ce croc est à la mode ? Pour pendre son chapeau c'est vraiment très commode ! »
Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral, t'enrhumer tout entier, excepté le mistral ! »
Dramatique : « C'est la Mer Rouge quand il saigne ! »
Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! »
Lyrique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? »
Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? »
Respectueux : « Souffrez, monsieur, qu'on vous salue, c'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue ! »
Campagnard : « Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain ! C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain ! »
Militaire : « Pointez contre cavalerie ! »
Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ? Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot : « Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître a détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître ! »
Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit si vous aviez un peu de lettres et d'esprit : Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres, vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres vous n'avez que les trois qui forment le mot : Sot ! »
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UNE FIGURE AUJOURD'HUI DISPARUE
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Le nom féminin « une amplification » est un emprunt au latin amplificatio, d'abord employé au figuré désignant « le fait de s'épanouir » (pour une personne), puis au concret signifiant « une augmentation de surface, l'élargissement d'un chemin » (vers 1500).
C'est à partir de 1521 et en rhétorique que le mot est repris pour désigner une figure ; cette figure consiste à reprendre les éléments successifs d'une description pour les enrichir ; puis le mot désigne un développement excessif du discours (1636) et, du XVIIe au XIXe siècle et dans les classes de rhétorique, un exercice scolaire de développement d'un sujet ou d'un texte : la déclamation ou l'amplification oratoire. La figure disparaît au cours du XIXe siècle.
Le terme lui-même renaîtra en sciences par la photographie (1828, « un agrandisseur »), puis en électricité (1924, « un amplificateur »).
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LA DÉCLAMATION OU L'AMPLIFICATION ORATOIRE
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Il y avait chez les auteurs grecs et latins anciens, une sorte particulière d'amplification, inventée par les rhéteurs pour préparer les jeunes gens à l'improvisation oratoire : la déclamation, ou l'amplification oratoire.
Celle-ci ne désigne pas seulement l'application des procédés ordinaires de l'amplification à toutes les parties du discours, surtout à la confirmation (partie du discours où l'on prouve ce qu'on a avancé dans l'exposition) et à la péroraison (conclusion du discours) ; l’amplification oratoire désigne spécialement les développements et les preuves supplémentaires que donne l'orateur quand le sujet paraît achevé, lorsque la cause semble gagnée et la démonstration complète.
Ainsi Fléchier2, dans l'oraison funèbre de Turenne (1675), après avoir loué toutes les belles actions de son héros, s'étend à celles qu'il aurait pu faire, s'il eût vécu plus longtemps :
« O mort trop soudaine ! Combien de paroles édifiantes, combien de saints exemples nous as-tu ravis ! Nous eussions vu, quel spectacle ! au milieu des victoires et des triomphes, mourir humblement un chrétien. Avec quelle attention eût-il employé ses derniers moments à pleurer intérieurement ses erreurs passées, à s'anéantir devant la majesté de Dieu, et à implorer le secours de son bras, non plus contre des ennemis visibles, mais contre ceux de son salut ! etc. »
On voit un exemple du même moyen dans le Pro Archia de Cicéron (homme politique et orateur latin, 106-43 avant J.-C.), où celui-ci ne se borne pas à prouver que son client est citoyen romain - ce qui était la question - mais il soutient que, quand même Archia ne serait pas citoyen romain, il mériterait de l’être - comme poète : de là le double éloge, et d'Archia et de la poésie. Voilà l’amplification oratoire.
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NOTES
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1. Edmond Rostand est un poète et un auteur dramatique français (1868-1918), qui fut à l'aube du XXe siècle, un des auteurs les plus adulés des lettres françaises. Après un vaudeville en 1888 (Le Gant rouge), un recueil de poèmes paru en 1890 (Les Musardises) et quatre pièces de théâtre, Les Deux Pierrots (1891), Les Romanesques (1894), La Princesse lointaine (1895, pièce écrite pour Sarah Bernhardt) et La Samaritaine (1897), qui n'obtiennent qu'un succès d'estime, la célébrité arrive enfin avec Cyrano de Bergerac fin 1897, dont la première représentation est un triomphe, et L'Aiglon, en 1900, un drame dont le héros est le duc de Reichstadt.
Le succès populaire, immédiat et considérable, de ces deux œuvres, se poursuivra jusqu'à nos jours.
Le triomphe durable des pièces de Rostand n'est pas le seul fait de son talent de metteur en scène et d'auteur, mais aussi au talent de Coquelin (son acteur principal dans Cyrano), à celui de Sarah Bernhardt (dans le rôle du jeune duc de Reichstadt), et au talent de Lucien Guitry (dans le rôle de Flambeau). Après l'échec de Chanteclerc en 1910, le nouvel académicien (1901) gravement malade s'éloigna de la scène, laissant un drame posthume La Dernière nuit de Don Juan (1912).
2. Esprit Fléchier est un prédicateur et un narrateur français (1632-1710), qui fut un des maîtres de l'éloquence sacrée au XVIIe siècle, un « Isocrate français », et qui succéda en 1673 à l'un de ses modèles, l'évêque Godeau, à l'Académie française. Aumônier de la dauphine, ce prêtre mondain qui fréquenta l'hôtel particulier de la marquise de Rambouillet (Catherine de Vivonne) et le salon de Mme Deshoulières, manifesta son esprit dans des Lettres, des Portraits, et ses Mémoires sur les grands jours d'Auvergne (1665-1666, publiés à titre posthume en 1844). Il est connu pour ses Sermons, au ton simple mais à l'expression travaillée, et surtout pour ses Oraisons funèbres (Turenne, 1674, Marie-Thérèse d'Autriche, 1683, etc.).
La rhétorique de Fléchier est remarquable par son éloquence, mais, si on lui applique les trois exigences qui s'attachent à cette dernière : instruire, plaire, toucher, on constate que s'il instruit toujours, il plaît presque à coup sûr mais il touche rarement. Son éloquence est ingénieuse et nuancée, mais un excès de goût la retient sur la pente de l'émotion. Malgré un recours presque abusif à l'antithèse, son style possède une élégance rare, un composé d'harmonie, de rythme et de cadence.
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et maintenant, place à l'élaboration d'un texte court...
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Amplifier l'extrait de texte proposé ci-après, de manière à en diminuer la sécheresse du style tout en en développant le sujet (ici : l'ambition). L'extrait de texte provient d'un Sermon de Jean-Baptiste Massillon (prédicateur français, 1663-1742), reproduit dans La Formation du style par l'assimilation des auteurs (Paris, Armand Colin, 1902, p. 76) d'Antoine Albalat :
Texte proposé :
L'ambition nous rend faux. Il faudrait pourtant défendre le vrai. Mais on craint de déplaire. Cette crainte nous rend incapable d'incarner une certaine grandeur d'âme. Aussi, peut-on vraiment compter sur un homme ambitieux ? Un homme sans cesse changeant ? L'ambition n'est qu'une passion humaine de plus, même si elle est la passion des grandes âmes ; mais l'âme ne s'élève-t-elle pas par amour de la vérité ?
Après amplification, cela pourrait donner cet extrait du Sermon de Massillon :
L'ambition nous rend faux, lâches, timides, quand il faut soutenir les intérêts de la vérité. On craint toujours de déplaire, on veut toujours tout concilier, tout accommoder. On n'est pas capable de droiture, de candeur, d'une certaine noblesse qui inspire l'amour de l'équité, et qui seule fait les grands hommes, les bons sujets, les ministres fidèles et les magistrats illustres. Ainsi on ne saurait compter sur un cœur en qui l'ambition domine ; il n'a rien de sûr, rien de fixe, rien de grand ; sans principes, sans maximes, sans sentiment, il prend toutes les formes, il se plie sans cesse au gré des passions d'autrui, prêt à tout également, selon que le vent tourne, ou à soutenir l'équité, ou à prêter sa protection à l'injustice. On a beau dire que l'ambition est la passion des grandes âmes ; on n'est grand que par l'amour de la vérité, et lorsqu'on ne veut plaire que par elle.
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BIBLIOGRAPHIE
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BEAUMARCHAIS (Jean-Pierre de), COUTY (Daniel), REY (Alain), Dictionnaire des littératures de langue française, nouvelle édition mise à jour et enrichie, Paris, Bordas, 1994, 4 vol., t. 2, p. 886, t. 3, p. 2172.
Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 1, p. 475.
LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 202.
Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.
REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 68.

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