La gradation et le climax : accroître ou décroître, mais toujours progresser
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« Elle
sera ennuyée, agitée ; apeurée et affolée, elle sera
terrifiée. »
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L'escriMot
mensuel...
atelier
d'écriture
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CLIMAX
ET GRADATION
accroître
ou
décroître, mais toujours progresser
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LA
GRADATION
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La
gradation est une figure de rhétorique
qui consiste à présenter une suite de termes dans un ordre tel que
ce qui suit dise toujours un peu plus (gradation ascendante :
« Marchez,
courez,
volez
où l'honneur vous appelle » dans Le lutrin
(1683) de Nicolas Boileau), ou un peu moins que ce qui précède
(gradation descendante : « Il
était douteux, inquiet : un
souffle,
une ombre,
un rien,
tout lui donnait la fièvre » dans Le lièvre et
les grenouilles, Livre II des Fables (1668-1694) de
Jean de La Fontaine).
Gradation
désigne d'abord en rhétorique et comme en latin (gradatio :
gradin, petites marches, gradus : grade, degré) une
succession de mots de force croissante ou décroissante (1464) ;
le mot prend (1595) le sens général de « progression par
degrés successifs » et s'emploie spécialement en peinture
(1676) et en musique (1865) ; la progression peut s'effectuer du
plus vers le moins (alléger, amincir, cheminer, atténuer,
éclaircir, évoluer, modérer, ralentir, adoucir), ou du moins vers
le plus (accentuer, accroître, amplifier, augmenter, développer,
renchérir).
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LE
CLIMAX
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La
gradation s'applique aux mots mais aussi aux idées, aux sentiments
et aux images. On parle alors de climax.
Par
une succession de plusieurs mots synonymes qui diffèrent par leur
intensité, la gradation s'apparente aux
figures de l'énumération et de
l'accumulation, alors que le climax,
qui s'applique à la progression des idées, des images, des
significations ou des sentiments, s'apparente à celle de
l'amplification,
une figure qui agrandit ou qui réduit un
objet par la profusion,
une figure de
rhétorique aujourd'hui
disparue après avoir régné pendant
trois siècles en
littérature dans le
discours argumentatif et le texte descriptif.
Le
terme de climax (qui signifie
« échelle ») est emprunté au grec (1753) et désigne
une figure de rhétorique par laquelle le
discours s'élève ou s'abaisse
progressivement. Vers 1900, le terme apparaît en anglais
et en sciences pour désigner le point culminant d'une progression
(en biogéographie : « état de saturation », en
médecine : « intensité maximale d'une maladie »,
etc.).
Exemple
d'un climax descendant (ou decrescendo), avec cet extrait de l'Élégie
XI de Poésies érotiques (1778-1781) d'Évariste Parny1
(Œuvres complètes, Paris, Chez les marchands de nouveautés,
1831, Gallica-BnF, t. 1, p. 73) :
« J'ai
tout perdu : délires, jouissance,
transports
brûlants, paisible volupté,
douces
erreurs, consolante espérance,
J'ai
tout perdu l'amour seul est resté. »
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ET
AUSSI...
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• Les
mots peuvent suivre une certaine gradation, ascendante ou
descendante, tandis que le sens suit une progression contraire ;
dans l'un des exemples qui précédent, les mots suivent une
gradation descendante (un souffle, une ombre, un rien), alors
que le sens de la phrase suit une progression ascendante, marquée
par le mot « tout » : « Il
était douteux, inquiet : un
souffle,
une ombre,
un rien,
TOUT
lui donnait la fièvre ».
• Par
ailleurs, une gradation peut en suivre une autre : « Cette
enfant sera
ennuyée,
agitée,
apeurée,
affolée,
terrifiée
même (gradation
ascendante) ;
un
souffle,
une ombre,
un rien
lui donnera
la fièvre (gradation
descendante) ».
Dans
l'exemple suivant (une réplique de Don Rodrigue à Don Fernand
extraite de : Le Cid (1636) de Pierre Corneille, acte IV,
scène III), une gradation descendante suit une gradation ascendante,
tandis que le vers situé entre les deux gradations « Le
flux les apporta, le reflux les remporte » indique une
transition, une liaison et un changement de situation :
« Nous
partîmes cinq cents ;
mais, par un prompt renfort,
nous nous
vîmes trois mille
en arrivant
au port, tant,
à nous voir marcher avec un tel visage, les
plus épouvantés reprenaient de courage ! J'en cache les deux
tiers, aussitôt qu'arrivés, dans le fond des vaisseaux qui lors
furent trouvés : le reste, dont le
nombre augmentait à toute heure,
brûlant
d'impatience, autour de moi demeure, se
couche contre terre, et, sans faire aucun bruit, passe
une bonne part d'une si belle nuit. Cette
obscure clarté qui tombe des étoiles enfin avec le flux nous fit
voir trente voiles ;
l'onde s'enfle dessous, et d'un commun effort les Maures et la mer
montent
jusques au port. (…) Nous nous levons
alors, et tous en même
temps poussons
jusques au ciel mille cris éclatants.
(…)
Le
flux les apporta, le reflux les remporte ; cependant
que leurs rois,
engagés parmi nous, et
quelque peu des leurs, tous percés
de nos coups, disputent
vaillamment et vendent bien leur vie. À
se rendre moi-même en vain je les convie, le
cimeterre au poing ils ne m'écoutent pas : mais
voyant à leurs pieds tomber tous
leurs soldats, et
que seuls
désormais en vain ils se défendent, ils
demandent le chef ;
je me nomme, ils se rendent. Je vous les envoyai tous
deux en même temps ; et le
combat cessa faute de combattants. »
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NOTES
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1.
Évariste
Parny
(Évariste
Désiré de Forges,
chevalier, puis vicomte
de Parny)
est un poète français (1753-1814) de l'île Bourbon (appelée
l'île de La Réunion
en 1793),
considéré grâce à son
chef-d’œuvre les
Poésies érotiques
(1778-1781)
comme le grand poète
érotique du XVIIIe
siècle, le chantre des plaisirs fugaces et libres et de la
sensualité païenne ;
le ton élégiaque de
ses
poèmes rend
hommage à la grâce féminine, et
leur
finesse annonce le lyrisme romantique. Il
publie aussi des
Opuscules poétiques
(1779), des Poésies
fugitives (11787), un
poème satirique qui
connaît un succès considérable auprès des voltairiens et des
idéologues : la
Guerre des dieux anciens et modernes
(1799).
Après
le charmant pastel ossianique Isnel
et Asléga (1802), il
ne donne plus que de longues œuvres où sa manière devient sèche
et obscure : Le
portefeuille volé
(1805), Voyage de
Céline (1806), Les
rose-croix (1808).
Trois
de ses
Chansons madécasses
(1787), qui sont des
adaptations libres de chants malgaches,
ont été mises en musique par Maurice
Ravel en
1926.
2.
Madame de Sablé
(Madeleine de Souvré, marquise de Sablé) est
une femme de lettres (vers 1598-1678) qui
tint
salon en recevant les
gens du monde et des lettres, et dont
le passe-temps favori était
de composer
des maximes, lorsqu'elle
recevait
dans son salon de la place
Royale,
entre autres personnalités,
La Rochefoucauld (qui
publia
en 1664 ses propres Maximes,
fruits d'une pensée austère où prime avant tout un devoir de
lucidité) et Mme de
La Fayette (qui
publia
en 1678 La Princesse de
Clèves, un roman
psychologique admirable par la densité du style et la finesse de
l'analyse).
Lors
de ces salons littéraires et mondains, les
questions de sentiment et de morale y étaient débattues avec
passion, et la réduction à l'aphorisme constituait une sorte de
quintessence de la discussion. Genre
dont elle contribua à développer le goût, les
Maximes
de Mme de Sablé
traduisent, sous une
ironie voilée, une
sévérité et un
désenchantement probablement plus profonds
que ceux
qui imprègnent
les Maximes
de son illustre ami La Rochefoucauld.
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et
maintenant, place à l'élaboration d'un texte court...
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Au
choix :
• En
partant de cette maxime de Mme de Sablé2, extraite des
Maximes de Madame de Sablé (1678) publiées par D. Jouaust
(Paris, Librairie des bibliophiles, 1870, Gallica-BnF, maxime 79,
p. 45), choisir un (ou plusieurs) terme et le développer en une
gradation croissante ou décroissante :
« L'amour
a un caractère si particulier,
qu'on
ne peut le cacher où il est,
ni
le feindre où il n'est pas. »
Avec les
termes « amour » et « particulier »,
cela pourrait donner les deux gradations croissantes suivantes :
« L'estime,
l'affection, l'adoration, en un mot l'amour, a
un caractère si particulier, si
inhabituel, si extraordinaire,
qu'on ne peut le cacher où il est, ni le feindre où il n'est pas. »
• À
partir des phrases qui suivent, en
les reprenant telles quelles ou en s'en inspirant, bâtir
un climax
crescendo
ou decrescendo,
autour du thème du
faux départ, du
départ reporté, d'un départ qui n'est pas comme il doit être, le
départ d'une course, d'une flotte, d'une armée, etc. :
« on
se souvient encore des décennies plus tard, des préparatifs
agités
et fébriles de cette course nautique en solitaire » ;
« tout et tous étaient prêts, depuis le skipper jusqu'aux
dizaines de techniciens qui resteraient à terre et qui suivraient la
progression du catamaran rivés à leurs écrans de contrôle » ;
« manque de chance ou caprice de la météo, pas un souffle de
vent pendant des semaines et la course fut reportée à l'année
suivante », etc.
Cela
pourrait donner ce
climax qui monte crescendo avant de s'interrompre brutalement (« Il
fallut s'arrêter, et la rame inutile fatigua vainement une mer
immobile »),
dans cette
réplique d'Agamemnon
à
Arcas (au
début de l'acte I, scène 1) extraite de : Iphigénie
en Aulide : tragédie
(1674)
de Jean Racine (Paris,
L. Hachette, 1864, Gallica-BnF, p. 14) :
« Tu
te souviens du jour qu'en Aulide assemblés, nos vaisseaux par les
vents semblaient être appelés : nous partions ; et déjà
par mille cris de joie nous menacions de loin les rivages de Troie.
Un prodige étonnant fit taire ce transport. Le vent qui nous
flattait nous laissa dans le port. Il fallut s'arrêter, et la rame
inutile fatigua vainement une mer immobile. »
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BIBLIOGRAPHIE
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►
BEAUMARCHAIS
(Jean-Pierre
de),
COUTY (Daniel),
REY (Alain),
Dictionnaire
des littératures de langue française,
nouvelle
édition mise à jour et enrichie, Paris,
Bordas, 1994,
4 vol.,
t. 3,
p. 1816,
t. 4,
p. 2211.
►
DUBOIS
(Jean),
GIACOMO (Mathée),
[et al.],
Dictionnaire
de linguistique et des sciences du langage,
Paris, Larousse, 1999
(collection Expression), p. 225.
►
Le
Grand Robert de la langue française,
2ème édition,
Paris :
Dictionnaires Le Robert, 2001,
6 vol., t. 3,
p. 1457.
►
Le
Petit Robert des noms propres,
nouvelle
édition refondue et augmentée, 2007.
►
REY
(Alain,
dir.), Dictionnaire
historique de la langue française,
nouvelle
édition, Paris,
Dictionnaires
Le Robert, 1993,
2 vol., t. 1,
p. 907.
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